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aribeth

15 janvier 2009

Les tentations


Deux superbes Satans et une Diablesse, non moins extraordinaire, ont la nuit dernière monté l'escalier mystérieux par où l'Enfer donne assaut à la faiblesse de l'homme qui dort, et communique en secret avec lui.
Et ils sont venus se poser glorieusement devant moi, debout comme sur une estrade. Une splendeur sulfureuse émanait de ces trois personnages, qui se détachaient ainsi du fond opaque de la nuit. Ils avaient l'air si fier et si plein de domination, que je les pris d'abord tous les trois pour de vrais Dieux.

Le visage du premier Satan était d'un sexe ambigu, et il y avait aussi, dans les lignes de son corps, la mollesse des anciens Bacchus. Ses beaux yeux languissants, d'une couleur ténébreuse et indécise, ressemblaient à des violettes chargées encore des lourds pleurs de l'orage, et ses lèvres entrouvertes à des cassolettes chaudes, d'où s'exhalait la bonne odeur d'une parfumerie ; et à chaque fois qu'il soupirait, des insectes musqués s'illuminaient, en voletant, aux ardeurs de son souffle.

Autour de sa tunique de pourpre était roulé, en manière de ceinture, un serpent chatoyant qui, la tête relevée, tournait langoureusement vers lui ses yeux de braise. À cette ceinture vivante étaient suspendus, alternant avec des fioles pleines de liqueurs sinistres, de brillants couteaux et des instruments de chirurgie. Dans sa main droite il tenait une autre fiole dont le contenu était d'un rouge lumineux, et qui portait pour étiquette ces mots bizarres : « Buvez, ceci est mon sang, un parfait cordial » ; dans la gauche, un violon qui lui servait sans doute à chanter ses plaisirs et ses douleurs, et à répandre la contagion de sa folie dans les nuits de sabbat.

À ses chevilles délicates traînaient quelques anneaux d'une chaîne d'or rompue, et quand la gêne qui en résultait le forçait à baisser les yeux vers la terre, il contemplait vaniteusement les ongles de ses pieds, brillants et polis comme des pierres bien travaillées.

Il me regarda avec ses yeux inconsolablement navrés, d'où s'écoulait une insidieuse ivresse, et il me dit d'une voix chantante : « Si tu veux, si tu veux, je te ferai le seigneur des âmes, et tu seras le maître de la matière vivante, plus encore que le sculpteur peut l'être de l'argile ; et tu connaîtras le plaisir, sans cesse renaissant, de sortir de toi-même pour t'oublier dans autrui, et d'attirer les autres âmes jusqu'à les confondre avec la tienne. »

Et je lui répondis : « Grand merci ! je n'ai que faire de cette pacotille d'êtres qui, sans doute, ne valent pas mieux que mon pauvre moi. Bien que j'aie quelque honte à me souvenir, je ne veux rien oublier ; et quand même je ne te connaîtrais pas, vieux monstre, ta mystérieuse coutellerie, tes fioles équivoques, les chaînes dont tes pieds sont empêtrés, sont des symboles qui expliquent assez clairement les inconvénients de ton amitié. Garde tes présents. »

Le second Satan n'avait ni cet air à la fois tragique et souriant, ni ces belles manières insinuantes, ni cette beauté délicate et parfumée. C'était un homme vaste, à gros visage sans yeux, dont la lourde bedaine surplombait les cuisses, et dont toute la peau était dorée et illustrée, comme d'un tatouage, d'une foule de petites figures mouvantes représentant les formes nombreuses de la misère universelle. Il y avait de petits hommes efflanqués qui se suspendaient volontairement à un clou ; il y avait de petits gnomes difformes, maigres, dont les yeux suppliants réclamaient l'aumône mieux encore que leurs mains tremblantes ; et puis de vieilles mères portant des avortons accrochés à leurs mamelles exténuées. Il y en avait encore bien d'autres.

Le gros Satan tapait avec son poing sur son immense ventre, d'où sortait alors un long et retentissant cliquetis de métal, qui se terminait en un vague gémissement fait de nombreuses voix humaines. Et il riait, en montrant impudemment ses dents gâtées, d'un énorme rire imbécile, comme certains hommes de tous les pays quand ils ont trop bien dîné.

Et celui-là me dit : « Je puis te donner ce qui obtient tout, ce qui vaut tout, ce qui remplace tout ! » Et il tapa sur son ventre monstrueux, dont l'écho sonore fit le commentaire de sa grossière parole.

Je me détournai avec dégoût, et je répondis : « Je n'ai besoin, pour ma jouissance, de la misère de personne ; et je ne veux pas d'une richesse attristée, comme un papier de tenture, de tous les malheurs représentés sur ta peau. »

Quant à la Diablesse, je mentirais si je n'avouais pas qu'à première vue je lui trouvai un bizarre charme. Pour définir ce charme, je ne saurais le comparer à rien de mieux qu'à celui des très belles femmes sur le retour, qui cependant ne vieillissent plus, et dont la beauté garde la magie pénétrante des ruines. Elle avait l'air à la fois impérieux et dégingandé, et ses yeux, quoique battus, contenaient une force fascinatrice. Ce qui me frappa le plus, ce fut le mystère de sa voix, dans laquelle je retrouvais le souvenir des contralti les plus délicieux et aussi un peu de l'enrouement des gosiers incessamment lavés par l'eau-de-vie.

« Veux-tu connaître ma puissance ? » dit la fausse déesse avec sa voix charmante et paradoxale. « Écoute. »

Et elle emboucha alors une gigantesque trompette, enrubannée, comme un mirliton, des titres de tous les journaux de l'univers, et à travers cette trompette elle cria mon nom, qui roula ainsi à travers l'espace avec le bruit de cent mille tonnerres, et me revint répercuté par l'écho de la plus lointaine planète.

« Diable ! » fis-je, à moitié subjugué, « voilà qui est précieux ! » Mais en examinant plus attentivement la séduisante virago, il me sembla vaguement que je la reconnaissais pour l'avoir vue trinquant avec quelques drôles de ma connaissance ; et le son rauque du cuivre apporta à mes oreilles je ne sais quel souvenir d'une trompette prostituée.

Aussi je répondis, avec tout mon dédain : « Va-t'en ! Je ne suis pas fait pour épouser la maîtresse de certains que je ne veux pas nommer. »

Certes, d'une si courageuse abnégation j'avais le droit d'être fier. Mais malheureusement je me réveillai, et toute ma force m'abandonna. « En vérité, me dis-je, il fallait que je fusse bien lourdement assoupi pour montrer de tels scrupules. Ah ! s'ils pouvaient revenir pendant que je suis éveillé, je ne ferais pas tant le délicat ! »

Et je les invoquai à haute voix, les suppliant de me pardonner, leur offrant de me déshonorer aussi souvent qu'il le faudrait pour mériter leurs faveurs ; mais je les avais sans doute fortement offensés, car ils ne sont jamais revenus.

Charles Baudelaire (Les Tentations ou Éros, Plutus et la Gloire - Le Spleen de Paris)

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15 janvier 2009

Destinée

On rencontre sa destinée souvent par les chemins qu'on prend pour l'éviter.

Jean de La Fontaine (Fables)

15 janvier 2009

Leurre

Pour leurrer le monde, ressemble au monde ; ressemble à l'innocente fleur, mais sois le serpent qu'elle cache.

William Shakespeare (Macbeth)

15 janvier 2009

Clint Mansell & Kronos Quartet - Requiem For a Dream (BO du film)

Tout est drogue à qui choisit pour vivre l'autre côté.
Henri Michaux (Qui Je Fus)

15 janvier 2009

Carl ORFF - Carmina Burana (O Fortuna)

Au moindre revers funeste,
Le masque tombe ;
L'homme reste ;
Et le héros s'évanouit.

Jean-Baptiste Rousseau (Ode à la Fortune)

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15 janvier 2009

Verdi - Nabucco (Acte 3 - Choeur des Esclaves)

Est esclave quiconque ne respire pas et ne vit pas parmi les siens.

Ivo Andric

15 janvier 2009

Pace & Salute



15 janvier 2009

Schubert - Ave Maria (Pavarotti)

Si chaque pas posé sur la terre est une prière, alors vous progresserez toujours dans le respect du sacré. Alors votre pas sera sacré.

Charmaine White Face

15 janvier 2009

Bab’Ursu, Volpina e Vechju Cane

C’était du temps où l’ours vivait encore en Corse !
C’était du temps où la renarde avait déjà débarquée sur l’île !
C’était du temps où le chien venait de se mettre au service de l’homme !

Père Ours était tranquillement assis devant sa tanière du col de Vizzavonna, où il regardait passer le vent, quand Volpina, la renarde, a jaillit d’un buisson en criant :

- « Bab’Ursu ! Bab’Ursu ! On me tue ! Pour l’amour de Dieu ! Sauve moi ! »
- « Oh Volpina, qu’est ce qui t’arrive ? »
- « Oh Bab’Ursu ! C’est le chien ! Ce matin il s’est jeté sur moi par surprise ! Alors je me suis défendue, comme je pouvais ! Regarde dans quel état il m’a laissé ! Il m’aurait tué si je n’avais pas réussi à m’enfuir ! Mais depuis il est derrière moi pour m’achever ! Sans toi je suis perdue ! »
- « Entre Volpina ! Cache toi au fond de ma Grotte ! Et ne t’inquiète de rien ! Si Le chien arrive je saurai quoi lui répondre. »

La renarde entre dans la tanière de Père Ours, bien au fond pour ne pas être vue de l’entrée ! Et soudain ! Des aboiements ! Vechju Cane apparaît, la bave aux lèvres, l’oeil mauvais, les crocs apparents ! « Hè l’Ours, tu n’as pas vu la renarde passer par là ! » Bab’Ursu lance un regard méprisant à Vechju Cane et il lui dit :
- « Qui es tu pour me parler comme cela ? »
- « Attention l’Ours, du respect ! Il pourrait t’arriver malheur si je rapportais à l’homme ton manque de coopération »
- « Arrête de dire des bêtises ! Tu me fatigues ! Dis moi plutôt ce que tu lui veux à Volpina ! »
- « Comment tu n’est pas au courant ? Elle est entrée dans le poulailler et elle a gobé tous les oeufs »
- « Elle a fait çà ? Nooooon ! »
- « Si je te le dis ! »
- « Ho ! Et puis c’est pas si grave ! Après tout le fermier allait bien les manger ces oeufs, alors, lui ou Volpina ! »
- « Oui, mais c’est pas tout ! Elle est entrée dans le poulailler, elle a gobé tous les oeufs et elle a mangé la poule qui venait couver les oeufs »
- « Elle a fait çà ? Nooooon ! »
- « Si je te le dis ! »
- « Ho ! Et puis c’est pas si grave ! Après tout le fermier allait manger les oeufs, et la fermière voulait faire une poule au pot, alors, eux ou Volpina ! »
- « Oui, mais c’est pas tout ! Elle est entrée dans le poulailler, elle a gobé tous les oeufs, elle a mangé la poule qui venait couver les oeufs et elle a étranglé le coq pour qu’il ne donne pas l’alarme ! »
- « Elle a fait çà ? Nooooon ! »
- « Si je te le dis ! »
- « Ho ! Et puis c’est pas si grave ! Après tout le fermier allait manger les oeufs, la fermière voulait faire une poule au pot, et le grand-père un coq au vin, alors, eux ou Volpina ! »
- « Oui, mais c’est pas tout ! Elle est entrée dans le poulailler, elle a gobé tous les oeufs, elle a mangé la poule qui venait couver les oeufs, elle a étranglé le coq pour qu’il ne donne pas l’alarme, et elle a égorgé le porcelet qu’on engraissait pour noël ! »
- « Elle a fait çà ? Nooooon ! »
- « Si je te le dis ! »
- « Ho ! Et puis c’est pas si grave ! Après tout le fermier allait manger les oeufs, la fermière voulait faire une poule au pot, le grand-père un coq au vin et la grand-mère un cochon rôti à noël, alors, eux ou Volpina ! »
- « Oui, mais c’est pas tout ! Elle est entrée dans le poulailler, elle a gobé tous les oeufs, elle a mangé la poule qui venait couver les oeufs, elle a étranglé le coq pour qu’il ne donne pas l’alarme, elle a égorgé le porcelet qu’on engraissait pour noël et elle a mis le feu à la porcherie pour effacer les preuves ! »
- « Elle a fait çà ? Nooooon ! »
- « Si je te le dis ! »
- « Ho ! Et puis c’est pas si grave ! Après tout le fermier allait manger les oeufs, la fermière voulait faire une poule au pot, le grand-père un coq au vin, la grand-mère un cochon rôti à noël, et le fils voulait détruire la porcherie pour en faire une plus grande, alors, eux ou Volpina ! »
- « Oui, mais c’est pas tout ! Elle est entrée dans le poulailler, elle a gobé tous les oeufs, elle a mangé la poule qui venait couver les oeufs, elle a étranglé le coq pour qu’il ne donne pas l’alarme, elle a égorgé le porcelet qu’on engraissait pour noël, elle a mis le feu à la porcherie pour effacer les preuves et elle a tué le cheval pour empêcher le valet de la poursuivre ! »
- « Elle a fait çà ? Nooooon ! »
- « Si je te le dis ! »
- « Ho ! Et puis c’est pas si grave ! Après tout le fermier allait manger les oeufs, la fermière voulait faire une poule au pot, le grand-père un coq au vin, la grand-mère un cochon rôti à noël, le fils voulait détruire la porcherie pour en faire une plus grande, et la fille voulait faire abattre le cheval qui l’avait renversée, alors, eux ou Volpina ! »
- « Oui, mais c’est pas tout ! Elle est entrée dans le poulailler, elle a gobé tous les oeufs, elle a mangé la poule qui venait couver les oeufs, elle a étranglé le coq pour qu’il ne donne pas l’alarme, elle a égorgé le porcelet qu’on engraissait pour noël, elle a mis le feu à la porcherie pour effacer les preuves, elle a tué le cheval pour empêcher le valet de la poursuivre et elle a croqué la souris qui avait tout vu pour qu’elle ne puisse pas témoigner ! »
- « Elle a fait çà ? Nooooon ! »
- « Si je te le dis ! »
- « Ho ! Et puis c’est pas si grave ! Après tout le fermier allait manger les oeufs, la fermière voulait faire une poule au pot, le grand-père un coq au vin, la grand-mère un cochon rôti à noël, le fils voulait détruire la porcherie pour en faire une plus grande, la fille voulait faire abattre le cheval qui l’avait renversée, et depuis longtemps le chat voulait manger la souris, alors, eux ou Volpina ! »
- « Oui, mais c’est pas tout ! Elle est entrée dans le poulailler, elle a gobé tous les oeufs, elle a mangé la poule qui venait couver les oeufs, elle a étranglé le coq pour qu’il ne donne pas l’alarme, elle a égorgé le porcelet qu’on engraissait pour noël, elle a mis le feu à la porcherie pour effacer les preuves, elle a tué le cheval pour empêcher le valet de la poursuivre, elle a croqué la souris qui avait tout vu pour qu’elle ne puisse pas témoigner, et elle a laissé des poils d’ours qu’elle t’avais volé pour te faire accuser ! »
- « Elle a pas fait çà ! »
- « Si je te le dis ! »
- « Ho ! Et puis c’est pas si grave ! Après tout le fermier allait manger les oeufs, la fermière voulait faire une poule au pot, le grand-père un coq au vin, la grand-mère un cochon rôti à noël, le fils voulait détruire la porcherie pour en faire une plus grande, la fille voulait faire abattre le cheval qui l’avait renversée, depuis longtemps le chat voulait manger la souris, et pour la fausse accusation toute façon t’y as pas cru ! Puisque c’est Volpina que tu recherches ! »

- « Oui mais. quand même ! Elle a cherché à te faire accuser de crimes que tu n’as pas commis ! C’est grave ça ! Alors, si tu l’as vue, il faut me le dire pour que je te rende justice ! »
- « Oui, oui tu as raison ! Il faudrait que je t’aide ! »
- « Alors tu l’as vue ? »
- « Oui je l’ai vue ! »
- « Et où est elle ? »
- « Elle est partie vers Bucugnà ! »
- « Merci l’Ours ! Tu fais bien de collaborer c’est ton intérêt ! »

Et Vechju Cane est parti ventre à terre vers le sud, en direction de Bucugnà ! Quand il a été si loin qu’on ne le voyait plus et qu’on ne l’a plus entendu aboyer, Bab’Ursu est entré dans sa tanière et il a appelé Volpina !
- « Oh cousine ! Tu peux sortir, tu ne risques plus rien ! »
- « Merci Bab’Ursu ! Sans toi mi tumbava ! »
- « Siguru ! Il t’en voulait beaucoup ! Mais dis moi c’est vrai tout ce qu’il m’a raconté ? »
- « A toi je ne veux pas te mentir ! Tu m’as aidé, je te dois la vérité ! Oui, ce qu’il t’a raconté est vrai ! »
- « Je m’en doutais ! »
- « Tu t’en doutais et tu ne m’as pas dénoncée ? »
- « Non, et si tu me redemandais asile je te cacherai de la même façon ! Mais maintenant écoute moi ! La poule, le coq, le porcelet, la souris et le cheval étaient de mes amis ! Alors si je te retrouve, tu regretteras que Vechju Cane ne t’ai pas tué ce matin ! »

Volpina a Volpe a sauté dans un buisson et s’est enfuie vers le nord, en direction de Venacu ! Père Ours s’est tranquillement assis devant sa tanière du col de Vizzavonna et il s’est remis à regarder passer le vent !

C’était du temps où le chien venait de se mettre au service de l’homme !
C’était du temps où la renarde avait déjà débarquée sur l’île !
C’était du temps où l’ours vivait encore en Corse !

Source : http://jeudecriture.unblog.fr

15 janvier 2009

La légende du Brocciu

Autrefois... C'était bien avant les invasions des Grecs, des Etrusques, des Romains, des Espagnols ou des Sarrasins...
Un peuple mystérieux, qui venait peut-être d'Afrique ou d'Asie Mineure et parlait une langue inconnue, vivait en Corse. Il érigeait d'immenses statues-menhirs à visage humain, dont certaines existent encore.

On raconte qu'un homme ou une femme pouvaient être eux aussi changés en pierre, lorsqu'ils avaient commis un acte répréhensible. Ils venaient grossir l'armée de ces statues, dont certaines avaient un aspect redoutable.

Deux d'entre elles, qui existent toujours, s'appellent Orcu e Orca, c'est à dire l'ogre et l'ogresse. Cet ogre et sa mère l'ogresse vivaient il y a bien longtemps sur le Monte Revincu et faisaient peur aux bergers. Ceux-ci, un jour, décidèrent de les capturer. Ils firent plusieurs tentatives, sans le moindre succès. Enfin, l'un d'eux suggèra :

- Et si nous placions du bitume sous les bottes de l'Orcu, pour que ses pieds restent collés à terre ?

- Bonne idée ! s'esclaffèrent les autres.

Au seuil de la caverne où demeurait l'ogre avec sa mère, ils aperçurent son énorme paire de bottes qui séchait au soleil. Ils s'approchèrent, un pot de bitume à la main. A l'aide d'un bâton, ils badigeonnèrent les semelles. Puis ils allèrent se cacher bien vite derrière les arbres.

L'ogre ne tarda pas à sortir de son logis en bâillant. Ils enfila distraitement ses bottes et poussa un rugissement lorsqu'il s'aperçut qu'il ne pouvait plus bouger les pieds. Les bergers accoururent ausitôt, en brandissant leurs haches et leurs épieux.

- Si vous m'épargnez, supplia l'Orcu, je vous enseignerai quelque chose qui vous sera utile toute votre existence.

- Parle, firent les bergers.

- Eh bien, avec le petit lait de vos brebis, je peux vous apprendre à fabriquer un excellent fromage dont vous vous régalerez.

Et il leur donna la recette du Brocciu, ce gras fromage de brebis que l'on mange sucré ou salé, et que l'on fabrique encore de nos jours à travers l'île.

Il était en train de leur enseigner la façon de fabriquer de la cire, avec le dernier lait de cuisson du Brocciu, lorsque l'ogresse arriva rouge de colère.

- Ne vois-tu pas, pauvre sot, que cela ne sert à rien de leur dévoiler nos secrets, s'écria-t-elle, car ces ingrats vont quand même nous tuer !

C'était vrai : les bergers les massacrèrent tous les deux. Au moment où leur corps s'effondraient, ils furent transformés en pierre, en deux menhirs que l'on voit encore se dresser au flanc du Monte Revincu.

Les bergers, dès le jour même, décidèrent d'expérimenter les recettes de l'ogre. elles leur parurent si bonnes qu'ils ne furent pas longs à les adopter !

D'après un texte de Claude Bourguignon-Frasseto :
Contes et légendes de Corse - Lettre Sud éditions

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